Évaluer concrètement l’impact des technologies sur l’interprétation d’aujourd’hui

23 septembre 2025

er-tim.fr

Cartographie des technologies majeures en interprétation moderne

Avant d’entrer dans les méthodologies d’évaluation, il convient de dresser un panorama des solutions technologiques qui transforment l’interprétation :

  • RSI (Remote Simultaneous Interpretation / Interprétation simultanée à distance) : La généralisation d’outils comme Interprefy, KUDO ou VoiceBoxer permet de réaliser des interprétations multilingues sur des événements en ligne ou hybrides, tout en assurant une diffusion à grande échelle (source : Slator).
  • Plateformes d’intermédiation instantanée : Des applications mobiles ou web comme Boostlingo ou InterpretManager connectent en temps réel clients et interprètes, accélérant la prise en charge des demandes urgentes (source : CSA Research).
  • Traitement automatique du langage naturel (TALN) et IA : Les solutions à base d’intelligence artificielle assistent l’interprète (aide à la prise de notes, reconnaissance de termes techniques, transcriptions automatiques), relevant la productivité sur certains segments et dans des contextes semi-formels.
  • Réseaux de plateformes et outils collaboratifs : L’archivage de glossaires, la préparation collective via des interfaces partagées (Zanata, TermCatcher…) accélèrent la montée en compétence sur des sujets complexes.

Chacune de ces innovations répond à des besoins spécifiques du marché, mais leur contribution effective doit être évaluée avec rigueur.

Quels critères pour mesurer l'efficacité des technologies d’interprétation ?

L’évaluation de la performance ne peut se limiter à l’appréciation subjective (interprète « plus à l’aise », client « satisfait ») ni à l’argument commercial d’un éditeur. Une approche exhaustive doit intégrer plusieurs dimensions :

  • La qualité linguistique : Précision, cohérence et fluidité restent les fondamentaux. Mesurer l’influence d’un outil sur le nombre d’erreurs, la fidélité terminologique et la rapidité de reformulation est déterminant.
  • L’efficacité opérationnelle : Diminution du temps de préparation, réduction du taux de stress, possibilité de gestion simultanée de plusieurs canaux linguistiques, flexibilité dans la constitution d’équipes à distance.
  • L’impact économique : Analyse du retour sur investissement (ROI) : frais de déplacement évités, coûts d’infrastructure réduits, optimisation du temps de mission pour l’agence et pour le client.
  • La sécurité et la confidentialité : Conformité RGPD, maîtrise de la diffusion des informations sensibles, évaluation des risques de compromission inhérents à l’utilisation d’outils numériques.
  • L’expérience utilisateur : Satisfaction des intervenants et du public, taux de récurrence des missions, facilité d’accès (notamment pour les personnes en situation de handicap auditif ou linguistique).

Un système de mesure pertinent combine indicateurs quantitatifs et qualitatifs, dont voici les principaux.

Les méthodes concrètes d’évaluation : retour sur les pratiques éprouvées

1. Analyse comparative sur la qualité de l’interprétation

Certains organismes, comme l’Université de Genève (UNIGE FTI), ont conduit des études en enregistrant puis analysant, à l’aide de comités multilingues, des sessions d’interprétation réalisées avec et sans technologies. Résultats marquants :

  • Une petite mais significative amélioration (environ 7 %) de la qualité du discours interprété en simultané, avec outils d’aide mémoire et gestion de glossaire en temps réel, pour des sujets hautement techniques.
  • Pour la RSI, un risque accru de perte de concentration au-delà de 30 minutes de session sans pauses adaptées, d’où l’importance de protocoles spécifiques (rapport AIIC 2022 : aiic.org).

2. Statistiques d’efficacité et de gains de temps

Dans le secteur de l’interprétation d’urgence (notamment médical ou juridique, souvent via téléphone/visioconférence), l’introduction d’outils de gestion automatisée du flux réduit en moyenne le délai d’attribution d’une mission de plus de 60 % : de 20 minutes en moyenne à moins de 8 minutes (source : National Council on Interpreting in Healthcare, NCIHC, 2021).

De plus, il a été observé que la préparation collaborative sur terminologie partagée permet un gain de 25 à 30 % sur le temps de préparation en contexte de conférences hautement techniques (Parlement européen, 2022).

3. Indicateurs de satisfaction client et intervenant

Les grandes réunions hybrides multilingues de l’ONU et d’organisations internationales s’appuient sur des enquêtes systématiques auprès des participants. Une étude de satisfaction menée par l’International Association of Conference Interpreters sur 600 utilisateurs de RSI révèle :

  • 76 % des utilisateurs jugent la qualité d’interprétation supérieure ou égale à celle des dispositifs physiques, à condition que les connexions Internet soient stables.
  • 82 % des clients institutionnels apprécient la flexibilité logistique mais pointent du doigt la fatigue vocale accrue chez les interprètes (source : AIIC Barometer Survey, 2022).

La question cruciale du ROI : mesurer la rentabilité des dispositifs technologiques

L’adoption ou le renouvellement d’une technologie doit reposer sur une estimation rationnelle du retour sur investissement. Voici les axes de calcul privilégiés par les agences et institutions :

  • Coûts directs évités : Les plateformes de RSI réduisent, en moyenne, de 30 à 50 % les dépenses de location de cabines, de déplacement et d’hébergement des interprètes pour des événements internationaux (chiffres de l’Economist Events).
  • Optimisation du temps : Plus de 40 % d’augmentation du taux de disponibilité des interprètes en mode hybride, avec la possibilité de couvrir plusieurs fuseaux horaires depuis une seule interface (Slator, 2022).
  • Diminution des annulations : Grâce à la gestion rapide des remplacements via plateforme, les annulations de sessions sont réduites de près de 20 % (données Nimdzi Insights).

Cependant, ces gains doivent être mis en balance avec l’investissement initial, la maintenance logicielle, la formation aux nouveaux outils et, surtout, la prévention de la « tech fatigue » chez les professionnels.

Risques, limites et points de vigilance dans l’intégration des technologies

Si l’efficacité opérationnelle est séduisante, certains risques et écueils sont à surveiller :

  • Dépendance excessive à la connexion internet : Une coupure de réseau en plein congrès international reste la hantise majeure (source : AIIC, 2022).
  • Fatigue cognitive et vocale des interprètes : Certaines plateformes n’intègrent pas encore suffisamment de pauses ou de « rotations », accentuant l’épuisement professionnel (Journal of Medical Speech-Language Pathology, 2023).
  • Risques éthiques et de confidentialité : Les solutions cloud mal sécurisées exposent à des fuites d’informations sensibles, avec des conséquences juridiques sérieuses.

Les critères de sécurité, le respect de la charte professionnelle et la nécessité de formations continues au maniement des outils émergent donc comme axes d’optimisation complémentaires, au-delà de la simple question d’efficacité fonctionnelle.

Vers une évaluation continue : outils et bonnes pratiques à adopter

  • Mise en place d’indicateurs réguliers : Les agences pilotent leur performance via des tableaux de bord intégrant taux de satisfaction, incidents techniques, temps de traitement, qualité perçue.
  • Audits post-mission : Prise en compte des retours à chaud de toutes les parties prenantes (interprètes, organisateurs, publics), pour ajuster en temps réel les outils employés.
  • Veille technologique : Maintien d’une culture de l’amélioration continue, par la sensibilisation des équipes aux évolutions, la formation à de nouveaux modules d’IA, et le dialogue avec les éditeurs.

Entre accélération, adaptation et humanité : quelle trajectoire pour l’interprétation augmentée ?

L’émergence et la maturité des technologies dédiées à l’interprétation ouvrent de puissantes perspectives, entre accessibilité accrue et optimisation constante des flux linguistiques. Pourtant, la mesure de leur efficacité impose une approche multidimensionnelle : gains économiques, qualité du rendu linguistique, expérience humaine, enjeux éthiques.

Seule une évaluation régulière, outillée et transparente permettra d’atteindre le juste équilibre entre performance technique et respect de l’intégrité du métier d’interprète. À l’heure où l’IA générative et les plateformes collaboratives poursuivent leur ascension, le dialogue constant entre praticiens et décideurs devient la clé : pour préserver la dimension humaine et garantir le sens de l’innovation au service de la communication multilingue.

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